En Italie, le 1er corps d’armée canadien capture Frosinone, le 10ème corps britannique s’empare de Sora. Aux environs d’Anzio, les forces du 6ème corps américain capture Velletri et Monte Artemiso alors que d’autres éléments attaquent Albano. La perte de Velletri déséquilibre la ligne de défense César des Allemands.
En France occupée, le pont Highway de Rouen est l’objectif du 386ème groupe de l’armée de l’air. Le résultat des bombardements par les B-26 est passablement bon.
En Angleterre, l’embarquement pour l’assaut débute, d’ouest en est, de Falmouth et Fowey pour la 29ème division américaine; de Darmouth, Torquay et Exmouth pour la 4ème division américaine; de Weymouth et Portland pour la 1ère division américaine; de Southampton pour la 50ème division britannique et la 3ème division canadienne. Ceux qui sont éloignés des quais sont amenés en autobus ou en camion, ceux qui sont près des ports se regroupent en escadrons, sections et compagnies pour marcher. Tout est en mouvement, les jeeps, camions, les grosses pièces d’artillerie, chars, semi-chenillés, motocyclettes et bicyclettes. Les badauds s’assemblent le long des rues pour observer la procession apparemment infinie.
La mort préoccupe plusieurs des hommes, peu parlent entre eux, les blagues sont absentes. Ils se sentent plus près des uns des autres que jamais auparavant. Les troupes envahissent les docks, il y a des gens partout, les prêtres sont à l’apogée de leur gloire, on voit même des juifs se rendre communier. Tous sont morts de peur.
Pour certains hommes, l’attente casse leur peur, ils sont impatients de partir, le niveau d’excitation est écrasant. Le Haut commandement allié a amené délibérément ces hommes jusqu’à leur plus haut niveau d’empressement à se lancer dans la bataille, mentalement et physiquement. Certains d’entre eux s’entraînent pour ce moment depuis 2 ans et sont avec les mêmes personnes de leur escadron ou section depuis le premier jour. Ils ont partagé les travaux pénibles et les exercices exigeants, ont détesté ou aimé leur chef, ont mangé ensemble, dormi dans les mêmes trous de souris pendant les manœuvres, se sont soûlés ensemble. Ils forment maintenant une famille, se connaissent intimement et savent ce qu’ils aiment ou ce qu’ils sentent.
Peu d’entre eux sont ici par choix, seuls quelque uns ont une passion patriotique qu’ils partagent, mais tous préfèreraient mourir que de laisser tomber un compatriote. De tout ce que leur a apporté la période d’entraînement, cette solidarité de groupe est la plus importante.
Certains commandants rassemblent leurs hommes pour un dernier entretien avant qu’ils n’embarquent dans leurs navires de transport. Le commandant du 115ème régiment, le colonel Eugene Slappey, jette un regard aux têtes rasées, retire son casque, gratte son crâne chauve et déclare, « Vous avez eu une bonne idée, c’est beaucoup plus propre, mais je n’ai jamais réalisé que je me préparais pour une invasion. » Après les rires, il devient sérieux et parle à ses hommes comme à des fils, « Nous ne pouvons en faire plus pour l’instant. Le succès de l’invasion dépend de vous. Nous nous sommes longuement préparés, j’aimerais que vous sachiez combien de préparatifs ont été investis dans cette affaire. C’est le plus formidable effort militaire que ce monde ait connu, et vous en connaissez tous les enjeux, le cours de l’histoire dépend de notre succès. C’est une grande satisfaction que de savoir qu’aucune autre unité n’a été mieux préparée pour aller au combat, voilà pourquoi nous avons obtenu ce travail. Je vous retrouverai en France. »
Le général Patton s’adresse à la 6ème division blindée de la 3ème armée, son discours débute ainsi, « Aujourd’hui, je veux que vous vous rappeliez qu’aucun bâtard n’a jamais gagné une guerre en mourant pour son pays. Vous la gagnez en vous assurant que l’autre pauvre bâtard meurt pour son pays. » Et il termine son discours ainsi, « Il y a une chose que vous serez en mesure de dire lorsque vous rentrerez à la maison et vous pouvez remercier Dieu pour cela, dans trente ans lorsque vous serez assis au coin du feu avec votre petit fils sur les genoux et qu’il vous demandera : Qu’avez-vous fait durant la formidable seconde guerre mondiale ? Vous n’aurez pas à lui dire : et bien j’ai pelleté de la merde en Louisiane. Voilà, vous tous fils de putes, vous savez comment je me sens…je serai fier de mener des gars si extraordinaires à la bataille, n’importe quand, n’importe où. C’est tout.»
Le général Bradley rassemble près d’un millier d’officiers dans un vaste hangar d’avions, les officiers généraux dans la tribune, les colonels dans les sièges de la première rangée et les lieutenants à l’arrière. Le brigadier général Théodore Roosevelt fils est l’assistant en commandement de la 4ème division, à cause de son âge, 56 ans, et de sa condition physique (son cœur est malade), il a été forcé d’accepter toutes sortes de dispenses et d’ordres spéciaux, mais s’est défendu pour avoir la permission de débarquer sur la plage Utah avec les premières vagues d’assaut. Il a obtenu ce qu’il voulait, il est assis dans la tribune avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles.
Bradley débute, « Gentlemen, ce sera le plus grand spectacle du monde, vous avez l’honneur d’être aux premières loges. » Roosevelt fronce les sourcils, secoue sa tête et dans un profond chuchotement se dit, « Au diable! Nous ne sommes pas aux premières loges! Nous sommes sur le gril! » L’acoustique du hangar est telle que chacun l’entend, et une éruption de rires s’ensuit et abaisse la tension. Bradley grimace et poursuit son laïus.
En attendant le grand jour, le soldat Bannerman écrit : « Quel effort gigantesque chaque homme doit maintenant accomplir, faire face à une chose pareille. Des hommes qui n’ont eu jusqu’à maintenant qu’une petite vie, des hommes avec peu d’éducation et peu de connaissances et sans support philosophique; des hommes en mauvaise santé, des hommes séparés, pauvres ou provenant de familles dans le besoin, des hommes qui n’ont jamais été aimés, des hommes qui n’ont jamais eu d’ambition ou désirés un nouvel ordre mondial. Malgré cela nous sommes tous ici, nous irons tous nous battre volontiers, tel qu’ordonné.
* * *
Pendant que l’embarquement se poursuit, le vice maréchal de l’air, Trafford Leigh-Mallory, qui doute depuis le début de la décision de parachuter les deux divisions aéroportées américaines dans le Cotentin, se rend voir Eisenhower à son quartier général de Southwick House, situé au nord de Portsmouth, pour protester une nouvelle fois. Le service de renseignement a découvert que les Allemands ont stationné leur 91ème division au centre du Cotentin, exactement à l’endroit prévu de parachutage du 82ème groupe aéroporté. Le 82ème groupe a déjà déplacé sa zone de parachutage plus à l’ouest pour éviter les Allemands, mais Leigh-Mallory a le sentiment que ce n’est pas suffisant.
Il dit à Eisenhower, « Nous ne devons pas aller de l’avant avec cette opération aéroportée. » Il prédit des pertes de 70 pourcent pour les planeurs et au moins de 50 pourcent dans les parachutistes, et ce avant même qu’ils atteignent sol. Il le met en garde sur ce qu’il considère être « un massacre futile » de deux excellentes divisions, futile parce que les divisions ne seront pas en mesure d’apporter une quelconque contribution à la bataille. Les envoyer dans le Cotentin n’est qu’un pur sacrifice.
Suite à cet entretien, Eisenhower se rend à sa caravane située à environ 1 mile de Southick House, afin d’y réfléchir une nouvelle fois, il est très inquiet. Il n’a besoin d’aucun expert en ce moment. Il revoit l’opération toute entière dans sa tête, puis se concentre sur la force aéroportée américaine. Il sait que s’il ignore l’avertissement de Leigh-Mallory et qu’il s’avère fondé, alors il emportera dans sa tombe l’insupportable fardeau du sacrifice aveugle de milliers de jeunes dans la fleur de l’âge. Mais il sait que s’il annule la mission aéroportée, il devra également annuler le débarquement sur la plage Utah. Si les parachutistes n’y sont pas pour s’emparer des voies de sortie pavées, la totalité de la 4ème division sera en danger. L’annulation du débarquement à Utah dérangerait considérablement le plan élaboré, mettant ainsi en danger l’opération Overlord dans son ensemble. De plus, Leigh-Mallory n’a fait qu’une prédiction et l’expérience vécue dans les actions aéroportées de Sicile et d’Italie (où Leigh-Mallory n’était pas présent, Overlord est sa première participation dans une opération aéroportée), dont les performances de 1943 étaient loin d’être parfaites, ne justifient pas l’extrême pessimisme de Leigh-Mallory.
Il sent qu’il doit engager ces deux divisions aéroportées, elles doivent capturer Ste-Mère-Église, s’emparer des voies de sortie et protéger notre flanc. Il appelle Leigh-Mallory pour lui faire part de sa décision et rédige une lettre dans laquelle il mentionne qu’il n’y a rien d’autre à faire, il faut y aller, et lui ordonne de voir à ce que ses propres doutes et son pessimisme ne se répandent pas dans les troupes.
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