En Angleterre, alors que les navires s’engagent dans la Manche, le soldat Henry Gerald des fusiliers Royal Winnipeg est à bord d’un LCT. Il rejoint ses camarades dans les quartiers de l’équipage pour entendre les instructions de son chef de peloton. Le LCT est malmené par la mer, affrontant des creux de 20 pieds, ceux qui la veille étaient verts sont livides ce matin, le pont est inondé de vomi. Le crachin de la Manche se transforme peu à peu en une pluie pénétrante et glaciale, la plupart des hommes n’ont aucun endroit où se réfugier, le pont est glissant et le navire ballotte dans l’eau agitée. Tous les hommes sont dans un état pitoyable. Bien qu’Eisenhower sente l’odeur de la victoire, tout ce que les hommes de la force expéditionnaire alliée embarqués dans leur navire peuvent sentir est l’odeur du vomi.
La conférence météorologique d’Eisenhower a lieu à 4h00 le matin, à cette heure un grand nombre de navires ont quitté leur port et ceux qui sont en mer ont déjà commencé à se rassembler en convoi. Le météorologue Stagg a de mauvaises nouvelles, la zone de haute pression cède sa place à une zone de basse pression. Le 5 juin, le temps sera couvert et orageux avec un plafond nuageux à 500 pieds et des vents d’une force allant de 0 à 5. Pire encore, la situation se détériore si rapidement que les prédictions au-delà de 24 heures ne sont pas fiables du tout.
Eisenhower demande l’opinion de ses subordonnés. Montgomery veut poursuivre l’opération, Tedder et Leigh-Mallory désirent la remettre à plus tard. Ramsay dit que la marine pourra faire sa part, mais prévient que la précision des tirs sera considérablement diminuée à cause de la visibilité réduite et de la mer agitée. Les barges Higgins seront difficiles à contrôler.
Eisenhower fait remarquer qu’Overlord bénéficie d’une force terrestre qui n’est pas d’une écrasante puissance. L’opération n’est viable que grâce à la supériorité aérienne des Alliés, sans cet avantage, le débarquement est trop risqué. Il demande si quelqu’un est en désaccord. Tous sont d’accord. Eisenhower prend la décision de retarder l’opération d’au moins un jour, espérant de meilleures conditions pour le 6 juin. À 6h00 le matin, il donne l’ordre de suspendre toutes les opérations en cours.
Le report de l’opération a un terrible effet sur les troupes, les hommes de la 4ème division d’infanterie vont passer la journée en mer, il est hors de question de rentrer au port. Les navires de transport et de débarquement tournent en rond au large de l’île Wight. Les hommes sont en tenue de combat et n’ont nul part où aller, personne n’est intéressé à jouer aux cartes, lire un livre ou assister à un autre briefing. C’est la misère. Dans les navires qui peuvent jeter l’ancre près d’un port ou s’accrocher l’un à l’autre, les hommes ont l’ordre de demeurer à bord. La vue de ces navires accrochés les uns aux autres pour sauver de l’espace est impressionnante, quelle cible facile, il faut espérer que les Allemands ne sont au courant de rien.
Les troupes aéroportées ont les pieds bien à terre et au sec, mais les hommes sont également mécontents. Ils sont prêts, ils étaient à vérifier une dernière fois leurs armes, et à empaqueter leur équipement lorsque l’annonce du report est arrivée.
* * *
Dans la soirée, Eisenhower tient une réunion au quartier général à Southwick House en compagnie de Montgomery, Tedder, Smith, Ramsay, Leigh-Mallory, Bradley, Kenneth Strong et plusieurs autres officiers hauts gradés. Le vent et la pluie crépitent dans les fenêtres et les portes françaises claquent. La salle de réunion est grande, on y retrouve une grosse table et plusieurs fauteuils. Le café est servi parmi les discussions décousues.
À 21h30 Stagg entre dans la salle avec le dernier rapport météo, il a de bonnes nouvelles, il prédit une interruption dans la tempête. À cette annonce des applaudissements et bravos retentissent dans la salle. « La pluie qui tombe en ce moment », poursuit Stagg, « cessera avant l’aube et nous aurons 36 heures avec un temps plus ou moins dégagé, les vents seront modérés. Autant que je sache, les bombardiers et les chasseurs pourront opérer dans la nuit du 5 au 6 juin, même s’ils seront gênés par des nuages dispersés. » Leigh-Mallory perd soudain son enthousiasme, il demande qu’on reporte l’opération au 19 juin. Eisenhower fait les cent pas, la tête baissée, le menton sur sa poitrine, les mains jointes derrière son dos. Soudainement il relève la tête en direction de Smith et lui dit : « Qu’est-ce que vous en pensez ? » Smith répond : « C’est un pari difficile, mais c’est le meilleur pari que nous ayons. » Eisenhower approuve, fait encore les cent pas, s’arrête et se tourne vers Montgomery et lui demande : « Voyez-vous une bonne raison de ne pas y aller mardi ? » Montgomery regarde Eisenhower droit dans les yeux et lui répond : « Je dis, Go! »
Le haut commandement de la force expéditionnaire alliée est partagé, seul Eisenhower peut décider. Le commandant suprême est dans un moment d’isolement et de solitude alors qu’il doit prendre une décision, avec la pleine conscience qu’un échec ou un succès reposera entièrement sur sa décision personnelle. Eisenhower poursuit les cent pas, le menton collé à sa poitrine, il s’arrête et remarque : « La véritable question est de savoir combien de temps pouvons-nous laisser cette opération en suspend ? » Personne ne répond à la question. Eisenhower recommence à faire les cent pas, les seuls sons dans la salle sont ceux de la pluie et du battement des portes françaises. Il est difficile de croire qu’une opération amphibie puisse être lancée par un temps pareil.
À 21h45, Eisenhower prend sa décision :
« Je suis tout à fait convaincu que l’ordre doit être donné. »
Ramsay quitte précipitamment pour aller donner l’ordre à la flotte. Eisenhower retourne à sa caravane pour prendre un peu de repos. À 23h00, tous les navires ont reçu l’ordre de poursuivre la traversée. Le Jour J sera le 6 juin. Au même moment la BBC diffuse le message personnel suivant :
« Les sanglots longs des violons de l’automne. »
En France occupée, à Bayeux, le chef d’une unité de résistants, Mercader, est dans la cave de sa maison, la radio est ouverte et il écoute la BBC. Le message suivant est diffusé : « Il faut chaud à Suez. Il fait chaud à Suez. » Suivi d’un long silence. Puis un nouveau message : « Les dés sont sur le tapis. Les dés sont sur le tapis. » Il est surpris par les messages et l’émotion l’étreint, il s’agit des messages de confirmation « B », qui indiquent aux unités que le débarquement aura lieu dans les 48 heures et que son unité doit se préparer à entrer en action. Il se ressaisi rapidement, ferme la radio et grimpe les marches de la cave, quatre à la fois. Il informe sa femme de ce qu’il vient d’entendre puis saute sur sa bicyclette pour aller informer ses gens d’un débarquement imminent.
Quelques unités de résistants sont infiltrées par les Allemands et ceux-ci sont au courant des messages codés qui viennent d’être diffusés et qui signalent aux groupes de se préparer à entrer en action. Mais, avec le tas de fausses alarmes en mai, les marées dans le détroit de Douvres qui ne sont pas propices à un débarquement et le temps qui se détériore rapidement, font en sorte que les Allemands n’accordent presque aucune crédibilité à ces messages.
Rommel est arrivé à Herrlingen et prend une marche avec sa femme Lucie. Le général Salmuth de la 15ème armée chasse dans les Ardennes. Le général Dollmann de la 7ème armée est en route vers Rennes pour un exercice sur carte qui doit avoir lieu le 6 juin, il a annulé l’alerte planifiée pour la nuit, car il croit que la météo actuelle écarte toute possibilité d’une invasion. Le général Feuchtinger de la 21ème division Panzer est route vers Paris pour y rencontrer sa petite amie, il est accompagné de son officier en charge des opérations de la division.
Les Allemands sont convaincus que le débarquement n’aura pas lieu dans les prochains jours…
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